Candel en français

  • 1 - Éléments biographiques
  • 2 - Francisco Candel et la Transition démocratique espagnole
  • 3 - Mémoire et écriture de soi
  • 4 - Bibliographie
  • 5 - L'image de Paco Candel en Catalogne, des années 60 à nos jours
  • 6 - Francisco Candel dans Le Monde Diplomatique, août 1977
  • 7 - Fragment du roman "Le Christ noir"

 

Francisco Candel Tortajada est né en 1925 à Casas Altas (Valencia) ; en 1927, ses parents décident d'émigrer à Barcelone. Après les études primaires, il travaille dans divers ateliers jusqu'au service militaire où l'on découvre qu'il est atteint de la tuberculose. Il décide alors de se consacrer à la littérature et présente un premier roman à divers concours. En 1956, José Janés publie Hay una juventud que aguarda, et le succès vient avec le roman suivant, Donde la ciudad cambia su nombre (1957) : Francisco Candel décrit la vie des habitants de la banlieue dans laquelle il a vécu. Jusqu'en 1962, il publie un recueil de nouvelles, six romans et de nombreux articles.

En 1964, Els altres catalans connaît un retentissement inhabituel dans l'édition en catalan. Cet essai, écrit en espagnol, est d'abord publié en catalan et est continuellement réédité (29e édition en 2008). Dès lors, l'écrivain autodidacte, reconnu comme un spécialiste de l'immigration, réalise de nombreuses conférences et écrit d'autres livres qui revendiquent l'intégration des immigrés en Catalogne. De 1964 à 1976, son abondante production, malmenée par la censure franquiste, vaut bien des difficultés à l'auteur, en particulier Ser obrero no es ninguna ganga (1968).

Au cours de la transition démocratique, Francisco Candel est élu sénateur (1977-1978) sur la liste de l'« Entesa dels catalans » puis il devient conseiller municipal (PSUC) de l'Hospitalet de Llobregat. Cette expérience dans le monde de la politique, qu'il juge décevante, lui inspire deux  livres : Un charnego en el Senado (1979) et Un Ayuntamiento llamado Ellos (1994). Dans les années 1980, il publie de nombreux articles (Crónicas de marginados, 1986) et un essai qui démasque la pauvreté dans la Barcelone préolympique (La nova pobresa,1988).

La « Generalitat de Catalunya » honore l'écrivain de  la « Creu de Sant Jordi » (1983) et de la « medalla d'or » (2003). Depuis 2004, un « prix Francesc Candel » récompense les bonnes pratiques en matière d'immigration et en 2005, l'écrivain a créé la « fondation Paco Candel » dont l’objectif est de promouvoir des études sur l'immigration en Catalogne. Par ailleurs, une bibliothèque de Barcelone et un prix littéraire portent son nom. En 2006, l'écrivain a publié un livre de mémoires, Primera historia, primera memoria.

Par son écriture populaire et son implication exemplaire dans la cité, Francisco Candel a acquis en Catalogne une notoriété qu'il a mis au service des plus humbles en dénonçant toute forme d'exclusion, de quelque nature qu'elle soit. A l'occasion de son décès, le 23 novembre 2007, les médias et la classe politique de Catalogne lui ont rendu un vibrant hommage (voir vidéo).

1 - Éléments biographiques

Francisco Candel n'est guère cité dans les encyclopédies et dictionnaires, avec des variations sur l'appartenance régionale ou linguistique (1). Francisco Candel, en tant qu'écrivain, est aujourd'hui méconnu du public, même en Catalogne, et peu reconnu par ses pairs, comme le souligne l'éditorialiste de El Periódico de Catalunya, au lendemain de sa disparition, avec beaucoup de lucidité et de réalisme en choisissant le titre « entre l'oubli et la tendresse » :

Célèbre et censuré sous le franquisme plus qu'aucun autre auteur, les manuels de littérature méprisent Paco Candel, de nos jours, alors qu'il reste apprécié des journalistes, des historiens et de ses voisins (2).


Ce même éditorialiste précise que « ses livres sont introuvables et ignorés des universitaires » alors que les journalistes Ignasi Riera et Jaume Fabre considèrent qu'il est « l'un des plus grands écrivains catalans et espagnols du XXe siècle » (3).
Francisco Candel se plaignait d'être systématiquement catalogué comme un écrivain du « réalisme social » dont la spécialité pourrait être résumée par le terme espagnol de « barraquismo », des bidonvilles donc, et que l'on associe inévitablement au monde de l'émigration dans une optique misérabiliste. On a assigné à Francisco Candel ce rôle de porte-parole d'une réalité qui, si elle existait bel et bien, ne se réduisait pas seulement à cette description réaliste, et cela n'a jamais été l'intention de l'écrivain :

Los editores siempre me han tratado muy bien, empezando por Janés, que murió de manera tan trágica, pero yo nunca me he creído demasiado eso de que era escritor. Entonces me estigmatizaban con aquello de que era un escritor de barracas, y me molestaba; ahora lo que me molestaría es que me olvidaran, que no quedara nada de cuanto he hecho (4).

Dans les manuels et divers ouvrages d'histoire de la littérature espagnole du XXe siècle, Francisco Candel est relativement peu cité, surtout depuis la fin du franquisme. Ainsi est-il mentionné dans des traités sur le roman de langue espagnole : pour José María Martínez Cachero (5), Ignacio Soldevila Durante (6), Gonzalo Sobejano (7) et Pablo Gil Casado (8), Francisco Candel fait partie de la génération de 1950, du courant du réalisme social, du néoréalisme... Sa production romanesque coïncide avec l'essor de cette génération « des enfants de la guerre » dont Santos Sanz Villanueva considère qu'elle ne mérite pas la qualification irrévérencieuse de César Santos Fontela, « la generación de la berza » :

La génération des enfants de la guerre [...] a assumé le rôle historique ingrat de relancer notre littérature après les pauvres années quarante. Cette génération a commencé à publier au milieu du siècle, poussée par le désir de récupérer la réalité quotidienne et de devenir un témoignage critique de l'oppression et de l'injustice (9).

Par ailleurs, Francisco Candel est cité plusieurs fois dans le volume 9 de Historia y crítica de la literatura española (10), dans A New History of Spanish Literature (11) et est présenté plus longuement dans le volume 13 du Manual de literatura española (12), dans un sous-chapitre consacré au « réalisme de témoignage » qui réunit Ángel María de Lera, Francisco Candel et Antonio Rabinad. En revanche, il est pratiquement absent des ouvrages traitant de la littérature catalane. Il est vrai que même s'il est connu avant tout pour un essai édité en traduction catalane avant l'original espagnol, Els altres catalans, cet écrivain vivant en Catalogne depuis l'âge de deux ans a toujours écrit en espagnol.

Francisco Candel a publié quatorze romans, dont un seul est traduit en catalan, ainsi que dix recueils de nouvelles, contes et courts romans (dont la moitié n'ont pas été traduits en catalan), six recueils d'articles et de conférences (cinq non traduits en catalan) et enfin douze essais, reportages ou récits de voyage (dont la moitié n'ont pas été traduits en catalan). Francisco Candel est donc un écrivain de langue espagnole, même s'il est vrai que presque tous ses livres actuellement disponibles en librairie sont proposés en traduction catalane.

En Catalogne, si le nom de l'écrivain Candel n'est pas totalement tombé dans l'oubli, le prénom paraît beaucoup moins sûr : Francisco, Francesc, Paco ? Le titre du premier essai biographique d'Ignasi Riera sur l'écrivain, Candel, Paco o Francesc, Apunts per un retrat (1988) met en évidence cette indétermination. « El Candel », c'est d'abord Paco Candel. La fondation qu'il a créée en 2005 s'appelle ainsi la « Fondation Paco Candel » et l'écrivain considérait que son nom de plume était « Paco Candel » (13), même si en réalité il ne l'utilisait que très peu pour signer ses textes : un seul livre porte cette signature, Memòria d'un burgès i d'un proletari (14).

__________

(1) Gran enciclopèdia catalana (Barcelona, 1994) : « escriptor » ; Gran Enciclopèdia Valenciana (Valencia, 1991) : « escriptor » ; Salvat Universal (Barcelona, 2003) : « escritor español en lengua castellana y catalana » ; Gran Enciclopedia Planeta (Barcelona, 2004) : « escritor español » ; Gran Larousse Catalá (Barcelona, 1990) : « escriptor valencià ». Dans sa biographie de l’écrivain, Genís Sinca utilise deux gentilés : « el valencià » (valencien) et « el antunenc » (de Can Tunis, quartier de Barcelone). SINCA, Genís, La providència es diu Paco, Barcelona, La Magrana-Dèria, 2008.

(2) « Entre el olvido y el cariño », El Periódico de Catalunya, 24/11/2007.

(3) Ibid

(4) HERNÁNDEZ, Sònia, « El magisterio de Paco Candel », La Vanguardia, 23/08/2006.

(5) MARTÍNEZ CACHERO, José María, La novela española entre 1936 y 1980, historia de una aventura, Madrid, Editorial Castalia, 1980, p. 420.

(6) SOLDEVILA DURANTE, Ignacio, La novela desde 1936, Madrid, Alhambra, 1980, p. 217.

(7) SOBEJANO, Gonzalo, Novela española de nuestro tiempo, Madrid, Ed. Prensa española, 2ª ed., 1975, p. 397.

(8) GIL CASADO, Pablo, La novela social española (1920-1971), Barcelona, Seix Barral, 2nda edición, 1973, p. 21.

(9) SANZ VILLANUEVA, Santos, « El regreso de la generación social », El Mundo, 31/12/2002.

(10) RICO, Francisco, Historia y crítica de la literatura española, vol. 9, Los nuevos nombres: 1975-1990, Barcelona, Editorial Crítica, 1991.

(11) CHANDLER, Richard E., SCHWARTZ, Kessel, A New History of Spanish Literature, Baton Rouge, LSU Press, 1991, p. 191 ( “The Generation of 1950”).

(12) PEDRAZA JIMÉNEZ, Felipe B., RODRÍGUEZ CÁCERES, Milagros, Manual de literatura española, Tafalla, Cénlit ediciones, 2000 Volumen XIII, pp. 682-686.

(13) Qui es qui : https://www.lletrescatalanes.cat/index-d-autors/item/candel-tortajada-francesc

(14) C'est aussi avec cette signature que l'auteur signe la préface d'un ouvrage tiré à 340 000 exemplaires : LÓPEZ GARRIDO, Adriana, PUIGJANER, Josep M., Ser catalán, ¿qué es eso?, Barcelona, Xarxa cultural, 1987. C'est aussi « Paco Candel » qui signe le chapitre du livre édité par la Generalitat de Catalunya en hommage à Jaume Lorés (Homenatge a Jaume Lorés, 2005) et qui s'intitule : « Jaume Lorés, con acento ».

2 - Francisco Candel et la Transition démocratique espagnole

Après vingt ans de succès éditoriaux, l'image de Francisco Candel est celle d'un homme préoccupé par les questions sociales, la condition ouvrière, la vie dans les quartiers, l'immigration, la pauvreté et les marginaux, les laissés-pour-compte du « desarrollismo » franquiste...

Deux livres, Els altres catalans et Ser obrero no es ninguna ganga, représentatifs de la production candélienne, sont des livres de commande qui ont été en partie censurés, car le pouvoir franquiste avait bien mesuré la dimension subversive de ces deux sujets : l'identité culturelle catalane et la condition ouvrière. Aussi, quand les partis sont autorisés à participer aux premières élections démocratiques du 15 juin 1977, Francisco Candel devient une figure très convoitée en raison de sa popularité auprès des « autres Catalans » issus de l'immigration interne des années cinquante et soixante : tous les partis souhaitaient s'attirer le vote des « immigrés » dans une Catalogne dont la sociologie électorale avait été bouleversée en moins de deux décennies. Finalement, il accepte de se porter candidat au Sénat en qualité d'indépendant au sein d'une coalition de la gauche catalane, l’Entente des Catalans (Entesa dels Catalans : PSC-PSOE, PSUC, ERC), et devient le deuxième sénateur ayant le plus de voix de toute l'Espagne.

En assumant des responsabilités politiques pendant six ans, de 1977 à 1983, de sénateur d'abord, puis de conseiller municipal, Francisco Candel devient un acteur de la Transition démocratique. Après un premier mandat sénatorial qui s'achève officiellement le 2 janvier 1979, Francisco Candel échoue aux nouvelles élections générales du 1er mars 1979 comme candidat indépendant au sein d’une nouvelle coalition Per l'entesa, qui, contrairement au scrutin de 1978, s'est constitué sans le soutien du PSC-PSOE. Après cet échec, Francisco Candel est à nouveau sollicité par le PSUC (Partit Socialista Unificat de Catalunya) pour diriger la liste de ce parti lors des premières élections municipales démocratiques depuis la Guerre civile. C'est ainsi que le 1er avril 1979, la liste qu'il dirige arrive en seconde position dans la deuxième ville de Catalogne, l'Hospitalet de Llobregat.

Avec cette expérience de la vie politique, l'écrivain a trouvé une matière riche qu'il a su exploiter dans sa production immédiate, avec la même liberté de ton qui a toujours été la sienne, ne prenant que peu de précautions pour mettre en récit le résultat de son observation.

N'ayant jamais été affilié à aucun parti, son indépendance lui a permis de s'exprimer toujours aussi librement, au risque de déplaire et de ne pas avoir de succès, fidèle à son style, mais c'est avant tout la volonté de transcrire son expérience individuelle, de prendre acte, tel un « greffier », d'un moment que la génération des « enfants de la guerre » attendait depuis si longtemps, la fin de la dictature franquiste.

3 - Mémoire et écriture de soi

Les critiques littéraires ont régulièrement mis en cause le style, la syntaxe, le vocabulaire des romans de Francisco Candel, pour leur dénier une quelconque valeur « littéraire ». L'écrivain se gaussait de ces reproches au point de les inclure dans ses propres essais ou reportages, réaffirmant sans cesse qu'il renonçait à la valeur normative de la langue et préférait prendre des libertés pour s'exprimer avec une langue qu'il puise dans son environnement hispanophone d'extraction populaire. Il ne fait aucun doute que cette production littéraire, fictionnelle ou non, a rencontré l'adhésion d'éditeurs et la fidélité d'un lectorat abondant des années 60 aux années 80.

En 2003, quelques semaines avant de disparaître, Manuel Vázquez Montalbán invitait à relire attentivement « le Candel romancier » :

La Generalitat a récompensé, de son point de vue, un citoyen exemplaire qui a fait un usage constructif de sa sensibilité, de sa connaissance et de sa langue pour renforcer la convivialité en Catalogne. Mais il faudrait relire le Candel romancier pour s'étonner de la richesse et de la splendeur du gisement littéraire que son regard décèle dans cette Barcelone, dans cette Catalogne où l'une et l'autre perdent leur nom (1).


À cette injonction en répond une autre, quatre ans plus tard, et qui vient également d'un autre référence de la culture d'expression catalane, Baltasar Porcel :

Dans le cadre de la littérature en espagnol de l'époque, à Barcelone, si dénaturalisée en langue et contenu [...], l'auteur a apporté une langue savoureuse et jamais appréciée à sa juste valeur, et une véracité évidente et drôle (2).

Manuel Vázquez Montalbán et Baltasar Porcel insistent sur une langue particulière et sur la justesse de son propos, sur l'écriture et la société, sur les rapports entre l'écrivain et son environnement.

(1) VÁZQUEZ MONTALBÁN, Manuel, « Paco Candel », Avui, 06/09/2003: «La Generalitat ha premiat, des del seu punt de vista, un ciutadà exemplar que ha fet ús constructiu de la seva sensibilitat, coneixement i llenguatge per enfortir la cohabitació a Catalunya. Però s’hauria de tornar a llegir el Candel novel·lista per sorprendre’ns davant l’esplèndid, ric jaciment literari que la seva mirada troba en aquesta Barcelona, en aquesta Catalunya on tant l’una com l’altra perden el seu nom.»

(2) PORCEL, Baltasar, « Novela real y cabaña imaginada », La Vanguardia, 27/11/2007: «En el marco de la literatura en castellano de la época en Barcelona, tan desnaturalizada en idioma y contenido [...], el autor aportó una lengua jugosa y nunca apreciada en su justo valor, y una veracidad evidente y divertida.»

4 - Bibliographie

Les 55 livres en espagnol ou catalan de la bibliographie candélienne comprennent:

  • 18 romans (dont 4 courts romans : Esa infancia desvaída, El empleo, Richard, El juramento)
  • 146 nouvelles (10 recueils)
  • 6 recueils d'articles et de conférences
  • 15 livres d'essai, reportage, voyage
  • 2 pièces de théâtre (Richard, Sala de espera)
  • 2 biographies d'artistes (Joan Marti, Ferrán Soriano)
  • 2 récits pour la jeunesse (Una nueva tierra, Hoy empiezo a trabajar)
  • 2 livres de mémoires

Ces 55 titres correspondent en fait à « 47 livres » originaux, car certains textes ont été repris ou regroupés différemment au gré des publications dans différentes maisons d'édition. 49 titres ont été édités en espagnol (dont les livres « bilingues » et Memòries d'un burgès...) et 20 l'ont été en catalan.

Els altres catalans

L'article de référence, en français, sur Els altres catalans reste sans aucun doute celui de Mathilde Tubau-Bensoussan, catalaniste qui enseigna à l'Université de Rennes 2 et qui connut personnellement Francisco Candel. Elle reçut la Creu de Sant Jordi en 1993.

PDF de l'article publié dans la revue Les langues Neo-latines n° 173 (mai-juin 1965)


5 - L'image de Paco Candel en Catalogne, des années 60 à nos jours

Années soixante

La photo de couverture de Serra d'Or, (any VII, n°5, maig 1965) est de Xavier Miserachs ; elle correspond à la première image publique de Francisco Candel, romancier, essayiste et conférencier, « spécialiste » de l'immigration, un an après la publication de Els altres catalans. (Article de Francisco Candel dans ce numéro : «Les barraques de la Riera Comtal»)
«Ahí va Candel por las barracas de la Riera Comtal, en la Sagrera. Traje negro, camisa blanca, corbata listada y maletín. Engominado y bien rasurado, se parece a Juanito Valderrama. Estamos en 1965, las fotos son de Miserachs y el reportaje lo publica "Serra d'Or".» Julià Guillamón, La Vanguardia, 19/01/2001

Années soixante-dix

L'image de l'homme public, qui écrit dans les journaux et participe à la vie politique de l'après franquisme : élections du 15/06/1977
(photo Europa Press)
«Paco, que anduvo un tiempo en las políticas, le copió la barba a su admirado Hemingway.» Arturo San Agustin, El Periódico de Catalunya, 24/11/2007

Années quatre-vingt

Francisco Candel, lors de l'hommage qui lui est rendu à la « Festa de Treball » du PSUC, en 1985 : la photo, de Pere Monés, sert de couverture à la biographie de l’auteur publiée par Genís Sinca, en 2008
«El somriure tímid, la barba blanca, les ulleres de pasta, el mocador al coll, la veu trencada, el bastó dels darrers anys, els jerseis desmanegats donaven for-ma a una aparença fràgil que emmascarava la robusta humanitat d'un home de grans dimensions [...]», Ignasi Aragay, «Mor l'amic dels “altres catalans”», Avui, 24/11/2007

L'image de la mémoire

Francisco Candel est le premier écrivain de Catalogne à être honoré d'une figure de « gegantó », après Jacinto Verdaguer et il fut le premier à l'être de son vivant. Et c'est évidemment Els altres catalans que la figure du gegantó tient dans ses mains.


6 - Francisco Candel dans Le Monde Diplomatique, août 1977

Nous, les autres Catalans...

Ce furent d’abord les Majorquins et les Valenciens qui, dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, apportèrent à la Catalogne la base nécessaire à son industrialisation. Au début du vingtième siècle, ce furent les Aragonais, puis les Murciens et les gens d’Alméria ; enfin, les Andalous. Les trois grandes vagues d’immigration ont eu lieu dans les années 20, 40 et de 1950 à 1960. Ce furent comme trois grandes invasions.

C’est la plus fameuse et la plus pittoresque, avec ce caractère dramatique et douloureux que comporte tout déracinement. Dans les années 20, Barcelone avait besoin de main-d’œuvre pour la grande exposition universelle de Monjuich, en 1929, et la construction du métro. Les immigrants provenaient surtout de Cuevas-de-Vera, d’Almanzor, de Mazzaron et de Cartagène. Chez eux, ils vivaient des mines de plomb et du ramassage de plantes dont ils faisaient des cordes. Mais les mines s’épuisaient et les plantes ne rapportaient pas assez. Beaucoup d’entre eux souffraient de « conjonctivite granuleuse », contagieuse. Les écoles de la municipalité et la Généralité réussirent à enrayer la maladie.

La majorité des immigrants s’installa à Hospitalet. Il y avait tellement de Murciens dans ce quartier que, pendant la guerre civile, on pouvait voir cette inscription : « La Catalogne s’arrête ici. Ici commence Murcie. » Mais, lentement, ils s’intégrèrent et s’adaptèrent au fait catalan. Lors du référendum d’août 1931 sur le projet de statut d’autonomie de la Catalogne, ils votèrent « oui » en masse.

Au début des années 40, débute une nouvelle vague d’immigration. La misère était générale en Espagne. C’était l’époque des tickets de rationnement, du pain noir, du trafic. Dans certaines provinces, la situation était très grave. La Catalogne, pour sa part, recommençait à s’industrialiser. Les anciens patrons revenaient. Mais les bras manquaient, d’où la nouvelle affluence d’immigrants venant des régions les plus pauvres. Ces terribles années de misère furent appelées par les Andalous « les années- de la faim » ! Pour eux, la Catalogne, c’était l’Amérique. Ils arrivaient seuls ou en famille, en train... Ils avaient tout vendu dans leur village ; certains venaient à pied et campaient aux alentours de Barcelone, comme s’ils prenaient position pour s’emparer de la ville. Ceux qui arrivaient seuls avaient une valise en bois à la main, une « boina » (un béret) une veste étroite, et une chemise froissée. Qui a pu oublier ces quais de gare, avec ces familles pathétiques – femmes vêtues de noir, hommes habillés de futaine, entourés d’enfants assis sur leurs valises ou leurs baluchons – attendant on ne savait quoi ?

« L’invasion du silence » : c’est ainsi que les Catalans appelèrent cette « vague de la faim ». Ils croyaient qu’il s’agissait d’une manœuvre du gouvernement central de Madrid pour « décatalaniser » le pays. Et il est certain qu’à Jaen, par exemple, la direction générale de l’emploi organisait chaque jour le départ de trois cents personnes, les accompagnant à la gare, et payant leurs billets. Mais la majorité des immigrants partaient par leurs propres moyens.

Les Andalous occupent la Catalogne

De 1950 à 1960, on nota une baisse du nombre d’immigrants. Une crise économique sérieuse, qu’on essaya d’enrayer avec le Plan de stabilisation, déclencha une émigration générale vers l’Europe, surtout vers l’Allemagne. Les Andalous, les pauvres gens d’Estrémadure et de la Manche, continuaient d’abandonner leurs foyers mais pour eux la Catalogne n’était plus qu’une terre de passage. Ainsi, en 1962, 186097 ouvriers espagnols émigrèrent à l’étranger ; en 1963, 200285. Ces chiffres de la direction générale de l’emploi, ne comprenaient pas les personnes qui partaient avec un visa de tourisme et qui, arrivées à l’étranger, cherchaient aussi du travail. La migration intérieure espagnole, plus concrètement le déplacement vers la Catalogne, reprit et augmenta. En 1961, près de 24 000 immigrants arrivèrent à Barcelone et, en 1962, près de 36 000.

« Les Andalous ont occupé la Catalogne, et les Galiciens la compagnie des tramways », disait alors un dicton populaire. En 1961, 7852 Andalous arrivèrent à Barcelone et, en 1962, 12 577.

Dans la province de Gérone, les Andalous étaient la majorité, suivis des immigrants d’Estrémadure et des habitants de la Nouvelle-Castille. Toutes les provinces espagnoles étaient, en fait, représentées dans les villages de la province de Gérone, même si c’était de façon modeste : les Baléares, les Canaries, le Pays basque et la Navarre. Le plus curieux était que, dans chaque paroisse, on trouvait des ouvriers originaires d’une localité d’une même province : à la Bisbal, sur 1538 immigrants, il y avait 951 Andalous et 700 d’entre eux étaient de Cuevas-Bajas.

A partir de 1965, l’immigration en Catalogne se stabilisa. En 1973, en raison de la crise économique, elle diminua brutalement. De toute façon, l’immigration est maintenant une donnée importante et spécifique, ce phénomène joue un rôle très grand dans la vie du pays. L’immigrant devient souvent Catalan. Sa voix a pesé et pèsera de plus en plus sur le destin de la Catalogne qui aurait pu mal réagir face à ces invasions qui risquaient d’étouffer sa culture. Mais il n’en a pas été ainsi. La Catalogne a assimilé ces « étrangers » et leur a même donné une vocation de « peuple qui ne veut pas mourir ». Cet immigrant qui a sauvé l’industrie de la Catalogne et a aidé à créer son pouvoir économique, en échange de son sang et de sa sueur, s’est intégré comme il a pu, timidement le plus souvent, dans le contexte catalan. La Catalogne, les mains liées, n’a guère pu se révéler sur le plan culturel, social et national, pendant la période franquiste. Cependant nous avons cru en elle.

Après la nuit du franquisme et la mise en place de la démocratie en Espagne, l’immigrant retrouve toute sa dimension en Catalogne. Je ne pense pas que ce soit uniquement pour des raisons électorales. Une certaine élite nationaliste et une partie de la population catalane repoussaient l’immigrant dans les années 40 et 50. Cela a presque disparu. Le Catalan des premières décennies franquistes rejetait l’immigrant pour se défendre, ce que ce dernier ne pouvait pas comprendre. Les forces réactionnaires et anti-catalanistes ont, de leur côté, tenté de soulever ces immigrants contre leurs frères ouvriers catalans et contre la bourgeoisie catalane, en utilisant l’argument suivant : en Catalogne il n’y a pas de prolétariat catalan, et la bourgeoisie locale les exploite en tant qu’ouvriers immigrés ainsi ceux-ci seraient considérés comme citoyens de « seconde classe ».

Tous les partis politiques catalanistes ont adopé une ligne cohérente, humaine et équilibrée sur cette question mais ils n’ont pas su présenter aux ouvriers immigrés un programme social satisfaisant ; c’est pourquoi les masses ouvrières immigrées se sont tournées vers les partis socialiste et communiste, qui revendiquent, outre l’autonomie politique, un changement réel sur le plan social.

La campagne électorale a renforcé les liens entre les immigrés et les Catalans, les libertés essentielles de la Catalogne et le statut de 1932 sont revendiqués par tous. Si la Catalogne recouvre son identité, toutes les frictions mineures qui subsistent diminueront car, nous immigrants, nous avons totalement assumé les principes fondamentaux du fait national catalan ; les Catalans ont compris, de leur côté, l’importance de ces 40 % de Catalans d’adoption... En ces heures s d’espoir, la Catalogne leur ouvre les bras, sans les contraindre à renoncer à leur personnalité ou à leur identité. Espérons que cette belle image ne sera abîmée par personne. Espérons-le...

Un article très proche, L'émigration en Catalogne, a été publié dix ans plus tard dans la revue "Catalonia", n° 3, de 1987 [ PDF ]


7 - Fragment du roman "Le Christ noir"

44. L'immigration avait commencé. Les gens du Sud montaient vers la Catalogne. Les Galiciens aussi se déplaçaient vers cette région. A Barce1one, on donnait des douros pour quatre pesetas, à Barcelone on attachait les chiens avec des saucisses, du moins fallait croire. Après coup, bien sûr, on se rendait compte que c'était pas vrai. Après coup, on se rendait compte qu'à Barcelone on ne donnait pas des douros pour quatre pesetas, qu'on n'attachait pas non plus les chiens avec des saucisses. Malgré tout, à Barcelone, on était mieux que dans son bled, ça oui.
Ils affluaient en caravanes, certains avec des charrettes, des chèvres. D'autres venaient seuls, avec une valise en bois et, une fois installés, faisaient venir leur famille. Personne ne s'opposait à cette avalanche et, quand on le voulut, il était trop tard. Les Galiciens entraient à la Compagnie des Tramways; les Murciens et les Andalous dans les Entreprises de Travaux Publics. Sur le moindre terrain, ils édifiaient une baraque. Les baraques pullulaient comme les escargots après la pluie.
Tous les quartiers s'étendaient à un rythme vertigineux. La population avait doublé.
Les baraques se groupaient et formaient de véritables quartiers, aussi populeux sinon plus que les anciens, ces quartiers installés depuis si longtemps qu'on les aurait dits là de toute éternité.
C'était surtout entre le quartier de la Maresma et le Vieux Cimetière, sans souci de la proximité des morts, que la plupart des baraques s'étaient mises à pousser, formant un noyau des plus denses. Ces baraques, on les appelait les Baraques du Cimetière, certaines d'entre elles étaient fort bien construites, en maçonnerie et blanchies à la chaux ; d'autres n'étaient que bois et pâte à papier. Elles se pressaient sur la célèbre Montañeta, là où les gosses de la Maresma avaient eu jadis leur quartier général. L'ensemble dessinait d'étroites ruelles, avec des montées et des descentes : une vraie kasbah. Quiconque se serait trouvé la soudain n'aurait su dire ou il était : à Barcelone, en Andalousie ou à AIger.
Une autre agglomération se forma sur la Montaña, du coté de la Fosse, située – pouah ! – juste devant les morts, sur l'esplanade d'un des ravins. En été, les miasmes montant de la Fosse rendaient insupportable d'y habiter. Sans parler des mouches. Et du manque d'eau, de lumière, de cabinets ...
Quand je pense à la jolie maison que j'ai laissée dans mon village ...
Mais quelle idée aussi, femme, de venir ici ! Quelle idée ! Quand je pense à la grotte que j'ai laissée à Alméria qu'on aurait dit un palais.
Mais quelle idée aussi de venir ici ! Quelle idée !
Et que pouvions-nous faire ? Quelle autre possibilité ?
La Montaña était couverte de baraques. La Montaña n'était plus la Montaña. Plus de genêt, plus de lavande, plus de thym, et plus d'arbres ; c'est tout juste s'il restait des ronces, une herbe rare, des rochers pelés, de la terre nue. Des baraques, rien que des baraques. Les carrières que 1'on creusait pour lui voler des pierres achevaient de la dévaster. Les enfilades des baraques s'étendaient au-dessus de la mine de la Tierra Escudella, autrefois couverte de caroubiers, et gagnant, gagnant sans cesse en direction de la Ville, elles paraissaient courir au-devant d'elle et dire : On ne nous attendait pas ? Nous voici !
Dans les champs aussi – comme les coquelicots, comme la mauvaise herbe – poussaient les baraques. Pas le moindre bout de terrain inculte ou paraissant abandonné qui n'héritât de sa baraque. On les voyait pousser aussi dans les potagers. Les propriétaires, les petits propriétaires de ces terrains, les louaient ou bien les vendaient.
Cela mettait une touche romantique, ces hommes robustes ou malingres, mais tenaces, qui enfonçaient des pieux, qui les recouvraient, suant, soufflant, tandis que deux ou trois mioches jouaient, et que la femme, en plein air, préparait un pauvre casse-croûte. L'arrivée imminente du toit que ron pressentait vous faisait désirer d'être un peu comme eux : sans toit, puis aussit6t aptes, à couvert. Ce passage du rien au tout est un plaisir difficile à décrire. Son coté romantique prenait plus de relief encore si le jour tombait, si la nuit approchait rapidement, cette nuit qu'ils allaient peut-être accueillir sans toit, ou avec un toit à demi posé.